UN RICHE PATRIMOINE AU FIL DE LA SEICHE
La Seiche est riche de ses moulins dont certains demeurent des sites d'exception.
Nous vous proposons d'en découvrir l'historique de quelques un d'entre eux.
Un grand merci à Franck Pelhate et Denis Gallée pour leur contribution.
Les Moulins au fil de la Seiche...
Les moulins apparaissent en Bretagne au XIème siècle. Sur la Seiche, 17 sont(ou étaient) actionnés par l’eau.
Mentionnés régulièrement dans les archives, ils jouent un rôle important dans l’économie locale. Ils sont propriétés des seigneurs avant la Révolution (ce sont les seuls à pouvoir financer leur construction).
Le Moulin des Bouillants- Vern sur Seiche(35)
Le moulin de Bouillant est situé sur La Seiche. C'est un moulin banal et son droit d'eau est fondé en titre ce qui signifie que c'est un droit imprescriptible. Il a été construit vers 1650 avec une architecture similaire à deux autres moulins sur la Vilaine : le moulin du Boël construit en 1652 et celui de la Molière avec en amont un éperon pour résister au courant et en aval trois contreforts.
Le Moulin de Bouillant faisait partie de la Seigneurie Château-Logé sur la commune de Bourgbarré qui appartenait à la Famille Cossé de Brissac. En mars 1657, il est vendu à la famille Chastelliers de Corps Nuds, de la Châtellenie de Château-Logé, puis, en 1682 à la famille Béringhen, en 1742 à la famille Caradeuc de la Chalotais qui achète également le Château du Plessis à Vern sur Seiche. Ensuite, les descendants de cette famille : les familles Kermarec et Chéreil de la Rivière en sont propriétaires jusqu'en 1860. A cette époque, le moulin a 2 roues et 3 meules.
Concernant l'histoire des meuniers, des écrits relatent que le meunier Pierre Jacques Choplin, âgé de 17 ans est arrêté et guillotiné le 12 Floréal de l'An 2 (avril 1794) sur la Place de l'Egalité, actuellement Place du Parlement à Rennes. Il était accusé de 'chouanage'. Pour sa défense, il aurait dit qu'«il avait été forcé à suivre les chouans, à ne pas s'être battu et à n'avoir porté qu'un bâton.»
Avant d'être meunier au moulin de Bouillant, Pierre Quatreboeufs, originaire de Vern sur Seiche a passé six années dans l'armée impériale de Napoléon et a participé à toute la campagne d'Espagne. Lorsque Napoléon est exilé à Saint Hélène en 1814, Pierre Quatreboueufs reçoit alors son Congé Absolu.
Le 17 Mars 1860, son fils, Jacques Quatreboeufs, achète le moulin de Bouillant et pour la première fois, le moulin n'est plus la propriété de la Noblesse. Vers 1875, il supprime une roue et installe à la place une machine à vapeur Hermann la Chapelle, ce qui permet de faire tourner le moulin lorsqu' il n'y a pas assez d'eau dans la rivière.
Après sa mort, sa veuve Marie Rose Péan et sa fille Anastasie Quatreboeufs le vendent par adjudication au Docteur Deschamps le 21 Juillet 1900.
Le Moulin d'Esnoult Nouvoitou(35)
Daté dans son ensemble du XVIIIème et du XIXème, il appartient à la seigneurie de la Motte et est propriété de la famille de Sarsfield, seigneurs de Chambière avant la Révolution. Choisissant l’exil comme de nombreux nobles, leurs propriétés sont confisquées et vendues comme biens nationaux. Le moulin d’Esnoult est sans doute le plus discret des moulins de la commune. Dissimulé au fond d’une petite vallée, il faut emprunter un chemin pour y accéder. En bordure de celui-ci, une carrière est exploitée durant quelques temps, ses pierres servant notamment à construire le moulin et certaines maisons proches.
Au cours de la seconde guerre mondiale, le moulin est transformé en auberge de jeunesse, des jeunes de toute la France y séjournent, des actions de résistances sont menées par certains d’entre eux. Le rennais Cyprien Moqué, tout jeune cheminot au début de la guerre, distribuait les tracts de la résistance dans les boites aux lettres. Il se souvient être venu plusieurs fois à Esnoult où des groupements FTP (Francs-Tireurs et Partisans) entreposaient et stockaient leurs imprimés1. En 1968, la commune de Nouvoitou et celle de Saint-Armel, pour répondre aux besoins de l’époque, participent aux frais de démolition du déversoir et à l’arasement de ses maçonneries pour ensuite assurer le nivellement d’un nouveau déversoir et la construction d’une passerelle. 1 Après la fusillade allemande qui coûta la vie à quatre résistants du réseau FTP, le 4 août 1944, à Vern-sur-Seiche, un portefeuille appartenant à l’un d’entre-eux fut retrouvé dissimulé dans un fossé. A l’intérieur figuraient des photos de réjouissances à Esnoult.
Le Moulin de la Motte- Nouvoitou (35)
Les seigneurs de la Motte-Saint-Armel sont propriétaires du domaine en 1388. Deux moulins se font face à la Motte, le premier est situé en Nouvoitou et le second en Saint-Armel. La rivière leur sert de frontière naturelle. Pendant la Révolution, des travaux sont réalisés par Julien Brossault, charpentier de Nouvoitou, dans le moulin à seigle. En 1850, le propriétaire du moulin de La Motte est Pierre Napoléon Le François, maire d’Orgères.
Consulté à plusieurs reprises, il refuse de faire rétablir et de réparer à ses frais la passerelle du moulin dont il est propriétaire. Le maire de Nouvoitou, Pierre Poirier, insiste auprès de M. Le François afin qu’il rétablisse cette passerelle lui appartenant, “si utile au passage du public et si nécessaire à votre usine”. Le préfet est mis à contribution pour faire pression sur le propriétaire afin de rétablir ce pont, “l’endroit est devenu un vrai précipice où l’on s’étonne même qu’il ne soit arrivé plusieurs malheurs et accidents graves”. La situation n’évoluant pas, le conseil décide, le 26 décembre, que le chemin vicinal passera désormais cent mètres en dessous du moulin et qu’un nouveau pont y sera établi. Pour justifier son choix, le conseil municipal estime que la dépense à faire en aval sera moins coûteuse qu’en amont. Les notes laissées par Adolphe Orain, vers 1882, laissent entendre que l’œil du poète est charmé par ces lieux : “En allant de Nouvoitou à Saint-Armel, on laisse sur la gauche le village de l’Epron, sur la Seiche (qui possédait autrefois un pont que l’on supposait construit par les romains) et l’ancienne baronnie de Vauzel cachée au milieu des arbres. Plus loin, à 1 km avant d’arriver à Saint-Armel, est un moulin sur la Seiche appelé moulin de la Motte qui doit être une dépendance du manoir de ce nom dont il ne reste aucune trace. Il y a en cet endroit, un joli sujet de tableau : quelques chétives masures avec leurs toits moussus, la roue noire du moulin, les grosses roches sous la chute d’eau et un rideau de peupliers allant se perdre dans les prairies forment un petit coin ravissant”. Il n’y a plus de trace d’activité dans le moulin de la Motte situé en Nouvoitou en 1900, tandis que, sur l’autre rive, Édouard Tollemer moud toujours le blé, remémorant plus tard à ses enfants qu’“avant la guerre, les fermiers faisaient parfois la queue sur un kilomètre pour pouvoir faire moudre leur grain”. Plus tard, le moulin permet le fonctionnement d’une scierie et produit de l’électricité, en 110 volts, jusqu’en 1960.
Le Moulin de Tertron (Nouvoitou-35)
“Le moulin de Tertron peut être considéré comme un témoin capital pour établir l’historique des moulins et de leurs technologies. Ses caractéristiques architecturales, son mécanisme de mouture, son système de vannage partage nombre de traits communs avec les moulins hydrauliques anciens...” Ainsi le définit Eric Morin, conservateur au musée de Bretagne en 1990.
En 1701, lors de la prise de possession de la baronnie de Châteaugiron par René Le Prestre de Lézonnet, dans un état des lieux du moulin en présence du meunier René Anger, il est fait “jeter les filets dans la rivière”, constaté que la meule est abîmée et que la roue est cassée en plusieurs endroits, les crevasses dans la chaussée sont nombreuses. En 1776, le coursier où vient se loger la roue est refait, ce qui entraîne l’entier renouvellement du vannage. Les hommes de loi du baron de Châteaugiron, toujours propriétaire, en établissent le procès verbal en juin 1776. Cette date est gravée sur une pierre du moulin avec la mention “fait par Roger”, il s’agit d’un des signataires du procès-verbal. En 1842, par ordonnance royale, le règlement d’eau permet au moulin de maintenir son activité, les niveaux d’eau, le vannage et la hauteur des déversoirs sont redéfinis. En 1857, une borne de pierre marquée d’une entaille, toujours en place, indique le niveau d’eau à respecter. En 1859, le vannage est refait de nouveau à neuf, il le sera encore en 1934, avec le pont, puis plus récemment en 1990. Le vannage est composé de huit vannes, dont une dite ouvrière qui est destinée à alimenter en eau la roue à aubes. Cet ensemble architectural entièrement conservé en état de fonctionnement est unique dans la région.
Le moulin de Tertron a une origine médiévale, et s’il n’a pas subi de transformations importantes, c’est qu’en 1902, lorsque Jean-Marie Legendre prend la location des bâtiments, il y installe son atelier de mouture de sarrasin (blé noir) et sous-loue la partie agricole en 1906. En ce début de siècle, bon nombre de moulins ont déjà effectué leurs premières mutations. C’est sa spécialisation et son retard de compétitivité qui va permettre à Tertron de garder son aspect authentique. Il est doté d’un moteur à gaz pauvre en 1910, mais la modernisation n’ira pas plus loin, l’installation étant jugée suffisante pour le travail du blé noir dont la farine accepte d’être moulue moins finement. Vers 1920, le meunier abandonne ce moulin au profit des fermiers qui n’opéreront aucune transformation d’importance mais qui vont s’efforcer de maintenir l’ouvrage en l’état. Un poste de production électrique (une dynamo) y est installé en 1931 mais délaissé par la suite car estimé peu rentable. En 1970, le pont du bras de décharge est refait à neuf. Les fermiers qui exploitent le moulin et la ferme entretiennent l’édifice qui leur sert à concasser le blé destiné à l’alimentation des vaches laitières. Chaque semaine durant plusieurs décennies, la roue tourne et la farine s’écoule, broyée par les meules. Au repos depuis 2006, le moulin est toujours en état d’activité.
Le Moulin d'Epron(Nouvoitou-35)
En 1701, les hommes du nouveau propriétaire de la baronnie de Châteaugiron, Le Prestre de Lézonnet, prennent possession du moulin vendu par les Brissac. A partir de 1793, il appartient à des rennais dont le sieur Millaux, supérieur et représentant le séminaire de Rennes. Il achète le domaine en 1814 et l’utilise comme monnaie d’échange en 1820 contre une portion du couvent des Carmélites, appartenant aux consorts Gay. Joseph Ozanne l’acquiert en 1852 et le transforme en minoterie en 1864. Il participe ainsi au mouvement d’industrialisation des moulins du XIXème siècle. En sont témoins, ses différents niveaux, construits au fur et à mesure des mutations et des évolutions technologiques. Roue à aube, machine à vapeur, moteurs à gaz pauvre puis électriques se succèdent. Epron a gardé la trace de ces évolutions inscrites dans l’architecture du bâtiment, c’est ce qui en fait sa richesse.
En 1912, la famille Ozanne vend le moulin. Célestin Legendre, alors locataire depuis 1905 l’achète. Les Legendre sont une famille de meuniers, dans leur histoire, on les trouve à Epron, Tertron mais aussi à Esnoult. Durant tout le XXème siècle, les changements vont se succéder afin de s’accorder avec les nouvelles technologies de mouture et de tamisage ainsi qu’aux nouvelles formes d’énergies disponibles, transformant peu à peu le moulin à un seul étage en minoterie à plusieurs étages, dont le dernier sera construit en 1949, après la destruction de la cheminée. Cette même année Édouard Legendre, petit-fils du précédent, va mettre en place le transport pneumatique vertical, permettant de faire remonter les produits moulus au dernier étage par aspiration afin de repasser au plansichter* pour un nouveau tamisage. C’est aussi à cette période que la minoterie se met à l’heure de l’électricité, en 1942. Après 1960, Michel Legendre et son frère Paul apportent à leur tour des changements à l’édifice dont le plus important est certainement l’installation en 1985 d’un nouveau plansichter qui permettra d’améliorer grandement la qualité du tamisage et fera passer le rendement de la minoterie de 7 à 12 quintaux/heure pour une production maximale de 20500 quintaux par an. La minoterie, et ses à cotés, tournent à plein régime, employant jusqu’à 10 personnes. Michel Legendre cède sa société aux Moulins Desgués en 2003. La minoterie a de nouveau réussi sa mutation et est toujours en activité, aujourd’hui encore elle fournit de la farine biologique à de nombreux boulangers.